Colloque international :
28 et 29 septembre 2006
Une opposition qui ne dit pas son nom
Représentations et pratiques populaires (contre le pouvoir)
au Burkina Faso
Appel à communication
Les résultats des élections présidentielles du 13 novembre au Burkina Faso ne font aucun doute. Blaise
Compaoré prendra sa propre succession au poste de président de la
république. En dépit d’une pléthore de candidats, le débat autour des
élections est, paradoxalement, très peu politique.
Une
analyse de la presse montre, en effet, que les discours et les
discussions autour d’orientations idéologiques, de perspectives
politiques ou de visions cherchant à améliorer la situation nationale
aux niveaux économique, social etc. sont rares. Si les dénonciations de
corruptions, de manœuvres et de coups politiques trouvent place et
s’affichent même avec une certaine liberté dans les colonnes des
journaux, n’épargnant pas toujours le président lui-même, possible
héritage bénéfique de l’affaire Zongo, on constate en revanche
l’absence de caractère politique au débat public, tout au moins à celui
mené dans la presse.
Pas
d’autres candidats crédibles, pas de débat politique, est-ce à dire que
le Burkina est un pays sans opposition ? Si l’on se limite à entendre
par le terme opposition, une opposition politique structurée dans le
cadre institutionnel d’un parti, armée d’un discours et d’une idéologie
qui se distingue de celle du pouvoir, on peut affirmer que l’opposition
politique est faible, très faible même.
C’est cette faiblesse
qui nous invite à suggérer une reformulation, ou plus exactement une
extension de la notion d’opposition afin de répondre de façon plus
fine, en tenant mieux compte des subtilités, de l’évolution des
mentalités, du vécu quotidien local hors d’un cadre limité à une
analyse de parti, à la question de savoir si le Burkina est un pays sans opposition. Cette
démocratie formelle, qui sous bien des aspects a les allures d’un
régime totalitaire au service de quelques-uns, peut certes marginaliser
l’opposition politique, institutionnalisée, mais peut-elle réduire,
comprimer, annihiler, évincer une opposition de conscience, une
opposition populaire présente dans les pratiques quotidiennes ? La
première démarche pourrait être de préciser ce que nous entendons par
opposition afin de savoir si elle existe et d’évaluer son éventuelle
portée et sa signification.
Il y a vingt-cinq ans déjà, Politique Africaine
invitait à penser le politique par le bas, cela reste toujours une
nécessité aujourd’hui. Nécessité théorique sans doute mais, plus que
jamais, et peut-être avant tout, nécessité méthodologique. C’est
seulement en écoutant le terrain, les réflexions, les actes, les
opportunités, les aspirations, les lassitudes populaires que nous
pourrons à partir d’un travail inductif, mené sur des sites
différenciés et multiples éclairer cette question. Une telle
perspective ne peut s’accommoder d’une définition a priori de la notion
d’opposition, c’est justement à travers le travail empirique que se
dégagera ce que peut recouvrir un tel terme. C’est là l’objectif que se
donne ce colloque : cerner les formes, les lieux, les représentations,
les pratiques d’oppositions populaires.
Les
jeunes universitaires ouagalais élevés pendant la révolution ont gardé
des avis très tranchés et une représentation toute empreinte de leur
éducation, de même que les jeunes qui ont grandi sous la révolution à
Ziniaré, la ville du président. Les travaux de Laurent ont montré
comment les pentecôtistes ont dans un premier temps refusé toute
implication dans l’univers du politique considéré comme impur, corrompu
et grevé par le péché. Si les leaders de cette mouvance de 700.000
personnes participent aujourd’hui à la CENI (Commission Electorale
Nationale Indépendante), rien ne nous permet de penser que tous les
pasteurs ruraux ou plus proches du petit peuple partagent cette
représentation. Au contraire même, les travaux de Bourdieu s’inspirant
de Weber ont montré que l’interprétation religieuse des bas membres
d’une institution religieuse est toujours celle qui rejoint au plus
près, parfois dans une logique de codétermination, les aspirations et
représentations populaires des exclus et des plus pauvres. A Koudougou,
la troisième ville du pays, les habitants tiennent des discours très
libérés à propos du pouvoir. Cette ville, pour de nombreuses raisons
historiques, est une ville d’opposition. Ces habitants ont pour la
plupart une vision critique relativement réfléchie et lucide du pouvoir. Dans ces cas de figure, ne peut-on pas parler d’opposition de conscience ? En outre, les pratiques qui se jouent des règles de l’Etat ne témoignent-elles pas aussi d’une opposition par le sens pratique ? Il
y a un véritable enjeu à cerner et comprendre l’articulation entre
opposition de conscience et opposition pratique. L’analyse de la
relation entre représentations et pratiques d’opposition peut éclairer
la manière dont les populations conçoivent le politique et les
possibilités de le transformer, peut-être, et, certainement, de s’en
accommoder au quotidien.
A
l’heure où la décentralisation se poursuit, ces questions sont d’une
importance cruciale. Le 12 février 2006, le scrutin municipal sera
étendu aux nouvelles communes. Si aujourd’hui pour des raisons
évidentes de contrôle et de maîtrise du jeu politique, il est interdit
aux candidats indépendants de se présenter aux élections municipales,
la valse des maires que connaît actuellement le Burkina (limogeage du
maire de Ziniaré et de Ouahigouya, suspension des fonctions du maire
d’opposition de Koudougou accusé de malversation etc.) témoigne du
potentiel réactif que peuvent constituer les autorités locales. Le cas
de la ville de Koudougou est particulièrement symptomatique. Alors que
les autorités s’échinent, notamment à travers des manœuvres
judiciaires, à écarter les leaders de l’opposition locale, la
population n’est pas dupe. On peut s’étonner de la liberté et de la
fidélité avec laquelle les journaux nationaux, y compris les plus
proches du pouvoir (comme le Sidwaya), ont rendu compte à travers leur
« micro-trottoir » de l’avis de cette population. Les enquêtes sur
place donnent le même résultat, celle-ci condamne. Même
ceux qui ne sont pas proches du maire, qui s’opposent à sa gestion de
la commune, reconnaissent avant tout dans son éviction une manœuvre
politique.
Ce
colloque sera l’occasion d’approfondir l’étude des manifestations et
des modalités de ces oppositions de conscience et oppositions
pratiques, ainsi que leur éventuelle portée sur les choix politiques.
Les résultats des élections les renforcent-ils ou au contraire
témoignent-ils d’une traduction de celles-ci au niveau local ? Le cas
de Koudougou peut, en effet, paraître hors norme, mais d’autres
régions, d’autres groupes, d’autres milieux sociaux tels que, par
exemple, les jeunes de Ziniaré, les universitaires ouagalais ou les
mouvements religieux en milieu rural, tout au moins en partie,
perçoivent le politique sous l’œil d’un tel discrédit que la
décentralisation n’évoque parfois pas autre chose qu’une
décentralisation de la corruption, de pratiques néfastes et délétères
dans un univers politique dont l’horizon paraît sans alternative.
Sans omettre le
poids de l’extérieur sur les obligations de démocratie et sur la
manière dont ceux qui vivent ce genre d'imposition arrive à ruser, c’est
autour des représentations et des pratiques qui s’opposent au pouvoir
en place de façon plus ou moins discrète, plus ou moins voilée, plus ou
moins franche ou insidieuse que s’articulera ce colloque.
Plus spécifiquement, les thématiques s’articuleront autour de deux axes. Il s’agit d’une part de la coutume et l’autre de l’urbanité. Le
premier axe se penchera dans la matinée sur le rôle du religieux dans
l’opposition au pouvoir et dans l’après-midi sur la réinvention de la
coutume (au sens de Hobsbaw et Ranger) comme outil de résistance ou de
revendications. La première partie de la deuxième journée sera
consacrée à l’étude des oppositions pratiques et de conscience liées à
la constitution d’identités urbaines. La seconde partie se centrera sur
les formes d’opposition institutionnalisée (syndicats, mouvements
étudiants, partis politiques, ONG, MBDHP, groupement citoyen, de
femmes, de journalistes etc.).
Organisation thématique
Ouverture du colloque :
- Introduction aux deux journées: Mathieu Hilgers, Jacinthe Mazzocchetti
-La question des oppositions politiques en Afrique (par le professeur J-C Willame)
Jour 1 : Autour de la «coutume»
Responsable de la journée : Pierre-Joseph Laurent
Atelier 1 : Le religieux
Responsable scientifique : René Otayek
Possibilité de 3 ou 4 communications (maximum) interrogeant les liens entre religion, politique et opposition au pouvoir
Débat introduit par le responsable de l’atelier
Atelier 2 : Des usages de la coutume
Responsable scientifique : Peter Geschiere
Possibilité de 3 ou 4 communications (maximum) articulées autour du
rapport entre le pouvoir et les usages détournés, ou non, de la coutume
par l’Etat ou les populations locales.
Débat introduit par le responsable de l’atelier
Conclusion de la journée : P-J Laurent
Jour 2 : L’urbanité en question
Responsable de la journée : Jacky Bouju
Atelier 3 : Identité urbaine
Responsable scientifique : Laurent Fourchard
Possibilité de 3 ou 4 communications maximums mettant en lien
l’urbanisation, l’opposition au pouvoir et le développement d’une
conscience politique
Débat introduit par le responsable de l’atelier
Atelier 4 : Une opposition qui dit son nom ?
Responsable scientifique : Sten Hagberg
Possibilité de 3 ou 4 communications maximums autour de groupes ou
institutions officiels agissant ouvertement contre le pouvoir en place
(partis d’opposition, mouvements étudiants, syndicats, presse…).
Débat introduit par le responsable de l’atelier
Clôture
-Conclusion de chacun des ateliers par les responsables de ceux-ci (Otayek, Geschiere, Fourchard, Hagberg), 15 minutes par personne
-Débat
-Conclusion générale : J. Bouju
Comité scientifique
Jacky
Boujou (Université de Provence), Laurent Fourchard
(FNSP/CEAN-Bordeaux), Sten Hagberg (Université d’Uppsala), Peter
Geschiere (Leiden University), Mathieu Hilgers (FNRS/UCL),
Pierre-Joseph Laurent (UCL), Jacinthe Mazzocchetti (UCL), René Ottayek
(CNRS/CEAN-Bordeaux), Pierre Petit (ULB), Claude Roosens (UCL), Michaël
Singleton (UCL), Jean-Luc Vellut (UCL), Jean-Claude Willame (UCL).
Comité d’organisation
Mathieu
Hilgers (FNRS/UCL, coordination), Elianne Lallemand (UCL),
Pierre-Joseph Laurent (UCL), Jacinthe Mazzocchetti (UCL, coordination),
Pierre Petit (ULB), Claude Roosens (UCL), Olivier Servais (UCL) et
Michaël Singleton (UCL).
Procédure de soumission
Les propositions de communication (300 mots maximum) sont à envoyer
pour le 31 décembre 2005 au plus tard aux adresses suivantes :
hilgers@anso.ucl.ac.be
j.mazzocchetti@anso.ucl.ac.be
Les communications écrites devront être finalisées pour le 31 mai 2006
afin de permettre aux responsables d’atelier d’en prendre connaissance
avant le colloque.
Les
responsables des ateliers seront les premiers discutants des textes.
Après chaque atelier, ils feront une courte synthèse. A la fin de la
deuxième journée, au cours du débat final, ils reprendront les lignes
de force dégagées et feront part de leurs propres recherches.